La loi Badinter du 5 juillet 1985 a profondément modifié le régime d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Elle pose un principe protecteur en faveur des victimes, mais le sort du conducteur victime demeure singulier.
En effet, l’article 4 de la loi Badinter prévoit que le conducteur n’est indemnisé que si sa faute n’a pas contribué à la réalisation de son dommage. Dès lors, la victime conductrice bénéficie d’un droit à indemnisation sous réserve de ne pas avoir commis une faute causale, appréciée souverainement par le juge.
Principes généraux
L’article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, prévoit que lorsque plusieurs véhicules terrestres à moteur sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice :
« Lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice » (Civ. 2e, 19 juin 2025, n° 23-22.911, D. actu. 11 juill. 2025, obs. R. Bigot et A. Cayol).
Il appartient alors au juge d’apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l’indemnisation ou de l’exclure, en faisant abstraction du comportement de l’autre conducteur. Ce droit à indemnisation s’exerce indépendamment de la faute du conducteur adverse. En somme, l’absence de faute du conducteur défendeur à l’action n’exerce aucune influence sur l’étendue de l’indemnisation du conducteur victime.
Appréciation de la faute du conducteur
La faute du conducteur victime doit avoir contribué à la réalisation de son propre préjudice pour limiter ou exclure son indemnisation : La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis.
Encore faut-il que cette faute soit en relation de causalité avec le dommage invoqué. La charge de la preuve incombe au défendeur à l’action en responsabilité :
« Il appartient au défendeur à l’action en responsabilité de rapporter la preuve de la faute de la victime » (Civ. 2e, 24 juin 1987, n° 86-11.851 ; 9 déc. 1992, n° 91-11.409).
Nature et gravité de la faute
La faute du conducteur n’a pas à être la cause exclusive du dommage, ni constitutive d’une force majeure.
- Elle peut être une faute simple, dès lors qu’un lien causal existe avec le dommage (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-19.576).
- Elle s’apprécie indépendamment de toute situation de force majeure (Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 11-16.996).
- Le juge doit prendre en compte la gravité de la faute et son lien causal, et non la cause de l’accident (Cass. 2e civ., 9 mars 2023, n° 21-11.157).
Ainsi, il n’est pas nécessaire que la faute soit constitutive d’une cause étrangère : une faute simple suffit.
Illustration par la jurisprudence récente
La Cour de cassation retient de jurisprudence constante que le juge doit apprécier la faute du conducteur victime sans tenir compte du comportement de l’autre conducteur impliqué (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-14.663).
Exemples :
- La conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants est constitutive d’une faute si elle a contribué au dommage (à condition que l’état de la victime soit prouvé, notamment par une condamnation pénale).
- À l’inverse, une faute sans lien avec le dommage (alcoolémie non causale, défaut de port de ceinture ou de casque non liés au dommage) ne peut être retenue (Cass. 2e civ., 5 oct. 2006, n° 05-14.929).
Appréciation souveraine par le juge
Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier si la faute du conducteur victime doit réduire ou exclure son indemnisation.
Ils doivent rechercher si la faute a eu un rôle causal dans la survenance ou dans l’importance du dommage, et non seulement si une irrégularité a été commise.
Évolution de la jurisprudence
Historiquement, la Cour de cassation exigeait que la faute soit imprévisible et irrésistible (force majeure) pour exclure l’indemnisation. Cette exigence a été abandonnée.
Désormais, une faute simple suffit, dès lors qu’un lien de causalité avec le dommage est établi.
Synthèse comparative des régimes applicables

La question des assurances : la garantie du conducteur
Même si l’article 4 de la loi Badinter peut limiter ou exclure le droit à indemnisation, le contrat d’assurance peut offrir une protection complémentaire.
L’article R. 211-8 du Code des assurances exclut de l’obligation d’assurance la réparation des dommages corporels subis par le conducteur de son propre véhicule.
Cela signifie que :
- En l’absence de garantie complémentaire, le conducteur responsable peut être privé de toute indemnisation.
- La solution est la souscription d’une garantie du conducteur (ou « garantie corporelle du conducteur »).
Sans cette protection, un conducteur fautif et blessé risque de ne percevoir aucune réparation, même pour des dommages corporels graves.
- Si le conducteur a souscrit une garantie du conducteur dans son assurance auto (souvent incluse dans les formules « tous risques »), il bénéficie d’une indemnisation de ses préjudices corporels, même en cas de faute de sa part.
- Cette garantie fonctionne indépendamment des règles de la loi Badinter et constitue donc une sécurité essentielle pour les conducteurs.
Il est donc fortement recommandé de vérifier son contrat d’assurance et, le cas échéant, de souscrire cette option.
Conclusion
L’article 4 de la loi Badinter établit un régime particulier pour les conducteurs victimes : leur indemnisation peut être limitée ou exclue s’ils ont commis une faute en lien causal avec leur dommage. Le juge apprécie souverainement la gravité de la faute et ses conséquences, indépendamment du comportement des autres conducteurs.
Toutefois, l’existence d’une garantie corporelle du conducteur dans le contrat d’assurance peut permettre d’obtenir une indemnisation complémentaire, y compris en cas de faute.
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