Le préjudice d’angoisse de mort imminente est un poste de préjudice exceptionnel, reconnu de récemment par le Cour de cassation. Il correspond à la souffrance psychique ultime ressentie par une victime consciente, entre l’accident et son décès, lorsqu’elle réalise qu’elle va mourir. Une victime plongée immédiatement dans l’inconscience ou dans le coma ne peut pas, par définition, percevoir l’imminence de sa mort.
Ce préjudice est régulièrement invoqué dans les accidents de la route, les accidents de la vie, les agressions, les noyades, les incendies ou encore les situations impliquant une agonie consciente, même brève.
Pour les proches, il s’agit d’un élément central de la demande d’indemnisation, car il permet de reconnaître juridiquement les dernières souffrances psychiques endurées par la victime.
1. Définition du préjudice d’angoisse de mort imminente
Le préjudice d’angoisse de mort imminente désigne la souffrance extrême, à la fois psychique et émotionnelle, ressentie par la victime qui comprend qu’elle va mourir. Il s’agit d’un préjudice autonome, distinct :
- des souffrances endurées, qui indemnisent la douleur physique et morale consécutive à l’accident .
- du préjudice de vie abrégée, qui correspond à la perte de chance de vivre plus longtemps et n’est pas indemnisable.
2. Une reconnaissance jurisprudentielle progressive
2.1. Les hésitations initiales de la jurisprudence
Pendant plusieurs années, la reconnaissance du préjudice d’angoisse de mort imminente a été fluctuante.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation refusait son indemnisation autonome. Elle considérait qu’il devait être intégré aux souffrances endurées (Civ. 2, 2 février 2017, n° 16-11.411).
À l’inverse, la chambre criminelle admettait son autonomie, notamment dans les dossiers d’accidents mortels ou de noyades.
Cette divergence a été source d’insécurité juridique pour les familles de victimes.
La situation s’est clarifiée avec un arrêt majeur de la chambre mixte de la Cour de cassation, en date du 25 mars 2022 (pourvoi n° 20-15.624).
Elle juge que la cour d’appel peut, sans double indemnisation, réparer :
- d’une part, les souffrances endurées.
- d’autre part, de façon autonome, l’angoisse d’une mort imminente.
Alors que le critère de distinction retenu reposait jusqu’alors sur la survie de la victime, le préjudice d’angoisse de mort imminente étant reconnu comme autonome en cas de décès, tandis qu’en cas de survie l’angoisse devait être indemnisée dans les souffrances endurées, la jurisprudence postérieure est venue raviver les débats lorsque la victime ressort vivante de l’accident. C’est précisément l’enjeu de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 11 juillet 2024 (n°23-10.068).
Dans cette affaire, une aide-soignante poignardée à 14 reprises avait obtenu devant la cour d’appel l’indemnisation de ses souffrances endurées et de son angoisse de mort imminente. L’assureur de l’agresseur soutenait que ce préjudice n’était indemnisable qu’en cas de décès, mais la Cour de cassation a rejeté cet argument.
Elle confirme cependant le principe de réparation intégrale, interdisant toute double indemnisation du même préjudice.
2.2. Les précisions de la chambre criminelle
La chambre criminelle avait déjà apporté plusieurs éclairages importants :
- Limitation temporelle du préjudice : il ne peut être constitué que entre l’accident et le décès, et non avant ou après (Crim., 14 mai 2019, n° 18-85.616).
- En cas de lutte pour survivre, la douleur morale liée à la conscience de la mort imminente constitue un préjudice spécifique (Crim., 29 avril 2014, n° 13-80.693).
- Ce préjudice est transmissible aux héritiers, lorsque la victime est restée consciente quelques instants après l’accident (Crim., 27 septembre 2016, n° 15-84.238).
La jurisprudence offre ainsi une grille d’analyse solide qui permet aux familles d’obtenir une indemnisation complète.
3. La conscience de la victime : condition essentielle
L’existence du préjudice suppose une conscience certaine de la victime.
La Cour de cassation a même validé le rejet d’une demande d’indemnisation lorsqu’il était démontré que la victime n’avait jamais repris connaissance après l’accident : n’ayant pu percevoir la gravité de son état, elle n’avait pas pu éprouver l’angoisse de sa mort imminente (Crim., 27 septembre 2016, n° 15-83.309).
La temporalité peut être très courte : quelques secondes suffisent si la conscience et la panique sont établies.
Les juges s’appuient alors sur des éléments factuels tels que :
- témoignages,
- constatations médicales
- vidéos
- analyses des circonstances de l’accident
- expertises
4. Distinction avec le “préjudice de vie abrégée”
Il est essentiel de distinguer :
Préjudice d'angoisse de mort imminente (indemnisable)
→ Souffrance psychique ressentie par la victime consciente devant l’imminence de son décès.
Préjudice de vie abrégée (non indemnisable)
→ Correspond à la perte de chance de vivre plus longtemps.
La Cour de cassation juge que la perte de sa propre vie ne crée pas un droit à réparation dans le patrimoine de la victime (Civ. 2, 20 octobre 2016, n° 14-28.866).
Seule la souffrance morale liée à la conscience de la mort prochaine ouvre droit à indemnisation.
5. Une indemnisation spécifique et transmissible aux héritiers
L’appréciation de l’intensité de l’angoisse repose sur :
- La durée de conscience : même quelques secondes suffisent si la personne a pris pleinement conscience de la gravité de son état et de l’imminence de sa disparition.
- L’intensité de la souffrance psychique : les juges analysent les réactions émotionnelles et psychiques, basées sur les témoignages de proches ou de secouristes, les constatations médicales et les expertises.
- Les circonstances de l’accident : chute, noyade, incendie, écrasement ou toute situation mettant la vie en danger.
- Le lien direct avec l’accident : il faut distinguer la douleur liée à la conscience de la fin imminente des douleurs physiques et morales causées par l’accident lui-même, afin d’éviter toute double indemnisation.
L’indemnisation de ce préjudice revient à reconnaître la terreur ultime subie par la victime consciente.
Ce poste de préjudice est intégré dans les actions engagées par les ayants droit devant les juridictions civiles ou pénales.
Conclusion
Le préjudice d’angoisse de mort imminente constitue aujourd’hui un poste de préjudice clairement admis et indemnisable, sous réserve d’établir la conscience de la victime entre l’accident et son décès. Sa reconnaissance permet désormais une réparation plus juste et plus complète du dommage moral subi par les victimes et leurs familles.
Exemples :
- CAA Nantes 10 décembre 2019 n°18NT02713 : Tempête Xynthia, victime décédée, demande : 100 000 euros, indemnité : 20 000 euros :
« Le décès de M. H...., qui était atteint d'une déficience respiratoire, à l'intérieur de leur habitation où l'eau est progressivement montée et dont il n'a pu sortir afin d'échapper à cette montée des eaux, a été provoqué par un syndrome asphyxique compatible avec une noyade. Dans ces circonstances, M. H.... n'a pu que prendre conscience, avant son décès, d'une mort imminente et inéluctable à l'origine de souffrances morales.»
- TJ Paris, JIVAT, 4 août 2022, n°21/04917 : Attentats du 13 novembre 2025 (Bataclan), victime décédée, demande 20 000 euros, indemnité : 20 000 euros.
« En l'espèce, Monsieur X qui a été blessé mortellement par les terroristes qui tiraient sur la foule autour de lui et notamment à l'endroit où il se trouvait dans la fosse, a ainsi ressenti une souffrance morale spécifique liée à une angoisse de mort imminente. Il a eu pleinement conscience pendant une durée de temps conséquente de sa fin proche du fait de ses blessures balistiques et de l'hémorragie consécutive.»




